Accueil Non classé Concours d’écriture « Racontez-nous votre confinement » Chronique confinée post apocalyptique d’un hibiscus

Concours d’écriture « Racontez-nous votre confinement » Chronique confinée post apocalyptique d’un hibiscus

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C’est extraordinaire, je n’ai jamais eu de plante de compagnie en appartement aussi resplendissante ;mon hibiscus est le fleuron de cette mini escadre verte de mon parterre fleuri. Vous savez que cette fleur est l’emblème de la famille depuis bien des générations. Qu’est-ce que vous voulez il y a la Dame aux Camélias, il y a La Violettera… il peut bien exister quelque part sans déflorer la nature féminine, l’homme à l’hibiscus. Je suis partant pour réclamer cette insigne dénomination honorifique. D’ailleurs le mien, original, a une belle couleur, rouge flamboyant aux flammes mordorées, en accord avec mes principes philosophiques et autres dispositions d’esprit. Alors oui, extraordinairement, le confinement lui convient parfaitement ; on peut dire qu’il s’y complait… Je sais vous allez me rétorquer que c’est le propre de ces compagnons immobiles mais peut-être le fait que je sois continuellement à ses côtés lui donne des ailes. J’ose espérer et imaginer que c’est ma compagnie qui lui confère sa magnifique carnation on peut rêver mais je le sens: son imposante vigueur, sa santé renversante, aide à préserver la mienne. Je ne douterai jamais de ses effets bénéfiques. Par contre, il ne faudrait pas que ce soit un mutant qui se complait dans la proximité du Coronavirus. Alors pour gagner ses grâces, je lui parle tous les jours, le matin en particulier, pour bien lui signifier que nous sommes embarqués dans la même galère et que nous demeurerons des amis indéfectiblement unis. Je lui ai promis que si nous arrivons àbon port, au jour 1 d’après la crise, j’accrocherai sa beauté emblématique sur la bordure de mon chapeau en guise de panache. Ces derniers ne peuvent pas tous être blancs pour gagner des batailles ; Paris ne s’est pas livré aussi impunément.Alors, un virus ! Vous imaginez que cette bébête invisible va se rendre sans livrer un ultime combat ; je vous dis que non ; elle a encore du ressort et des forces insoupçonnées.


Evidemment mon hibiscus reste tranquillement dans son pot ; le regard dirigé vers la baie vitréedans le but évident de trouver une compagne de charme digne de sa prestance ; les premières habitations sont bien trop loin pour distinguer une âme sœur, fleur digne d’intérêt et capable de lui susciter une quelconque inflammation cardiaque qui ferait monter la sève sous pression. Je comprends qu’il s’efforce d’être au maximum de son élégance ; par sa parure,il doit se montrer charmeur s’il veut gagner le cœur d’une belle. Il ne ménage pas sa peine et s’envole dans des simulacres d’arc en ciel céleste.


D’un autre côté,et pour rester pragmatique, je ne l’ai jamais vu prendre une initiative quelconque pour gagner ne serait-ce qu’un sourire (à part à moi évidemment). Il fait le beau, il parade mais après, qu’est-ce qu’il en reste… Avant cette période de confinement, il n’a jamais eu aucunevelléité pour prendre l’ascenseur et voler de ses propres ailes. Pourtant non loin de la maison, il y a une fleuriste bien achalandée et je suis persuadé qu’il trouverait chaussure à son pied (je crois que chez une fleuriste on dit « fleur à son pot »). Non, il se contente de s’illusionner devant sa fenêtre ; il fait semblant de ne pas m’écouter et parait insensible aux riffs de Keith Richard ou aux modulations de Mozart ou à la métronomie de Bach. Indécrottable.


Même la semaine dernière, où Jupiter nous a autoriséune sortie exceptionnelle, justifiant par là un impératif devoir citoyen, il a préféré rester à la maison. J’imagine en toute honnêteté qu’il aurait pu faire un petit effort ; je pense qu’il n’aurait pas trahi la dynastie familiale et qu’il aurait conforté nos élans démocratiques. Mais non il a préféré ne pas bouger de son pot, casanier, pour tenir compagnie à Madame Anthurium. Il regarde toujours ailleurs. Il ne se fait aucune illusion ; il a bien compris qu’Il n’a aucune chance avec elle ; j’ai surveillé cette dernière et je suis certain qu’elle est farouchement misogyne et qu’elle n’éprouve aucun sentiment pour son voisin. Elle doit penser qu’une union aussi dénaturée serait à l’encontre de la bienséance alors elle préfère l’ignorer. Elle ne connait pas de toute évidence les bienfaits de son compagnon, qui depuis des temps immémoriaux participe d’une manière intime aux recherches des apothicaires et les cuisiniers.


Pour sa défense, sa compagne de fleur pose comme une diva de théâtre ; en dehors de son public et de ses fans elle ignore tout le monde. Cela confine au mépris. Tout le monde connait ses origines : une lignée ancestrale de snobs de la noblesse tropicale ; et avoir du sang bleu dans ses veines chlorophyllées a dû lui jouer un tour dans ses neurones végétaux. Demain elle écoutera, qu’elle le veuille ou non, Boris Vian ; une écoute salutaire qui la déridera en se reconnaissant dans ceux qui marient trombone et baronne.


D’ailleurs, depuis ce matin elle aussi ne me parle plus ; mademoiselle boude. C’est incroyable d’en arriver là après plusieurs années de vie commune.


Alors maintenant tous les deux se sont donné le mot ; on ne me remercie même pas quand je leur apporte à manger ou à boire. L’indifférence la plus complète… Je vais finir par me mettre en colère…


Du coup vexé, je ne leur parle plus…j’en aile droit quand même. Onva voir qui de nous trois, sera le plus fort à ce petit jeu. Pour l’instant, je les ignore un pastis à la main ; je contemple la ville de mon balcon, de ce ciel où j’ai l’impression que je domine la ville et que je pourrais la diriger comme un enfant fait passer les feux verts en rouges…et roulez jeunesse, la Révolution est à nos portes après l’intersection de droite. Maislà, stupeur, les oiseaux se sont tus. Ils ont arrêté leur folle sarabande autour des arbres du parc ; aucun pépiement, aucuns chants. Même les oiseaux se cachent et pas seulement pour dormir. C’est l’heure universelle du couvre-feu. Pourtant ce matin, ils étaient tous là à danser et parader dans le ciel au-dessus des nuages, nous montrant les chemins de la liberté. C’était la joie de vivre et maintenant les rues de la ville se sont éteintes ; l’obscurité a nourri l’ordre glacial et bannide la fête le désordre et de la joie.


Le constat est flagrant : on enterre la liberté dans le silence.

Aussi, ce soir, malgré l’interdit, je sortirai et merde… je veux sentir la ville la nuit, même dans le silence, je n’aurai pas peur.


Des coups sourds s’enfoncent dans la terre comme un marteau pilon.Je ressens les vibrations dans mon corps. Qu’est-ce qui se passe… on pourrait imaginer une autre catastrophe en devenir et là j’ai vraiment une boulle qui me déchire le ventre ; ça fait mal d’avoir peur. Que faire ? J’ai entendu les infos à la télé ; rien n’avait était prévu, rien de rien. Les coups dans la nature ce n’était pas prévu, le silence des oiseaux et la peur des plantes pareillement. Les paroles tournent en rond de crainte de se contredire et nous donnent des conseils de vie pour respirer sans gêner son voisin. Je vais devenir con… ou fou ; j’éteins la télé.


J’écoute Bach dans ses concertos brandebourgeois, j’allume une cigarette au moment où le violon tempère son ardeur pour céder la place au piano qui entame le prélude. Je suis aux anges virtuels mais le disque terminé, j’ai le blues qui gagne la partie.Je descends dans la rue.Je tente un regard à droite, un regard à gauche. Rien, juste les lumières des lampadaires qui éclairent le vide et la solitude des nouveaux déserts urbains. La police est ailleurs ; je les imagine patrouillant dans les quartiers où vivent les sorciers. Ceux qui sortent la nuit pour vendre le feu de leurs magies et leur paradis en fumée. Alors ici, on nous laisse tranquille. Nous n’avons rien à voir avec eux ; je pars à l’aventure, au coin de la rue.


Ces mois de printemps sont bizarres, du jamais vu… La ville est recouverte de cimetières silencieux ; dans les allées, un livreur de bonheurs s’échine sur les pédales de son vélo pour déchirer la nuit. Il est seul. Je m’avance dans l’obscurité persuadé que je vais croiser une harde de sangliers égarée ou quelque renard en recherche de nourriture. Seuls les loups se hasarderaient dans cet enfer mais ils restent discrets. Les platanes d’expérience s’allongent sur les boulevards ne respectant pas trop leur espace en espérant gagner l’orée de la vraie nature. Celle ou le vent souffle un peu de vie dans ces avenues abandonnées.


Que faire si on ne voit rien, si on ne sent rien si ce n’est l’angoisse qui transperce les murs ou même la lumière des foyers est cachée par nos craintes.


Je me souviens de ces nuits où j’arpentais ces rues pour rencontrer la vie et on entendait la rumeur de l’amour, la chaleur d’une présence étrangère et voilà que j’oublie tout. Les rues ne me parlent plus, la ville est absente.


Que de silences !


Il ne me reste plus rien à espérer ; je suis vaincu. Personne ne m’a rejoint.Je rentre à la maison pour parler à mon hibiscus.

Remy Luna

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