Accueil Culture / Sport / Vie associative Concours d’écriture « Racontez-nous votre confinement » JOYEUX TINTAMARRE

Concours d’écriture « Racontez-nous votre confinement » JOYEUX TINTAMARRE

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Crayons, stylos, craies, pinceaux, plumes, calames, tracent un joyeux tintamarre chez moi. Décision est prise de faire place nette au salon :

            Jeter les papiers griffonnés de quelques mots lors d’une lecture, d’une émission de radio soufflant un verbe de feu que j’inscris pour nourrir ma moitié anémiée.

Jeter les cours de graphologie. L’écriture, cette « parole peinte » fut étudiée à la loupe, de haut en bas, des hampes aux jambages entre lesquels se glisse le corps des lettres aux oves souples ou cabossés, trop ouverts ou noyés d’encre. J’ai appris à décrypter les o, les a, les e, les m, d’une rondeur pleine de santé ou étirés d’un fil de fer barbelé à hérisser le poil, à sortir mes griffes bien qu’elles soient limées. Tout fut intégré des centaines de définitions apprises sur le bout des doigts, celles d’une écriture boueuse, baveuse, pâteuse, nette, sèche, tendue, lâche, gladiolée, massuée, suspendue, oscillante sur la verticale… J’en perds mon latin… inégale de dimension, pression, inclinaison, vitesse. Stop ! La crampe de l’écrivain m’envahit. Ma plume se cabre, hennit, elle se tue au travail. « Ça suffit, élague s’il te plait », implore-t-elle, « mets tout à la poubelle, ça te nettoiera ».  Changer le fusil d’épaule avant de plonger tête première dans l’étude de l’inconscient, c’est plus amusant. Ce « frère obscur » me prend le bras quand je l’écoute avec l’oreille du confesseur et, main dans la main, nous butinons la vie. Il me rue, si je le délaisse, de coups de pieds qui font des ratés. Des pâtés se forment sur la feuille de papier en écrasant les mots gros d’affectivité chagrine. « Maman, papa » sont rapetissés ou barbouillés à l’envie. « Mon amour » se taille la part du géant, à moins qu’un autre lapsus graphique fasse oublier que « mes frère et sœur » étant plusieurs, la lettre s manque à leur traine. Je l’avais oublié. Merci Docteur, de cette précision. Votre divan est bien moelleux, vos tarifs augmentent-ils cette année ? D’accord, le principe de réalité a un prix. Merci de tout cœur, cher Docteur.

Je divague cet après-midi. Ma plume me rappelle à l’ordre alors qu’en pensée, je file les yeux doux au psychanalyste qui m’a formée : « Vide ta cervelle, fais place nette à la maison ». J’obéis. Le rangement se poursuit au gré de ma rêverie.

Qui sommes-nous donc ? Une coquille de noix voguant sur l’immensité de notre être à déchiffrer ou se fracassant contre notre cuirasse blindée ?

Comme par magie, des ombres chinoises s’imposent en catimini au salon et nous dansons ensemble parmi les dossiers bourrés de bilans, de comptes rendus, analyses, ébauches de romans, prose poétique et tutti quanti.  Je jongle sur la pointe des pieds pour ne pas les cogner. Je salue d’un sourire tremblant la mémoire des personnes de chair et d’os venue faire un point, stylo en poche, quelques heures ou un certain temps. La plupart ont franchi un cap à leur mesure. Que ce soit d’atteindre le Jura ou l’Himalaya, qu’il s’agisse d’une demande apparemment simpliste ou d’un journal intime à visiter, elles seules ont fait le travail. Le graphologue, assis tout près, renvoie un reflet conscient et inconscient de leur écriture, un rayon de soleil tendu vers leur part obscure, un regard caressant le mystère, l’intelligence de ses tripes pleine de son âme aussi. Ouvrir l’oreille de son cœur, s’incliner vers le bout de liberté qui réclame son pré carré, caresser une main ridée, suffit quand la technique s’efface peu à peu derrière…. derrière quoi exactement ? Un essentiel autre, me semble -t-il. C’est tout. Rien et beaucoup à la fois.

Une fois de plus, je m’évade alors que file l’après-midi. A 18h, la télévision s’anime chez les voisins, la même depuis des années. La glycine, à l’étroit sur le balcon, tarde à fleurir et joue – entretemps – avec le lierre grimpant.  Demain, il me faudra sûrement continuer à ranger mon intérieur. Aujourd’hui, il y a de l’ordre en moi ? Aïe ! Mieux vaut mettre un cache devant les yeux, quitte à tituber.

Ma plume se déchaine à nouveau en me mettant sens dessus dessous. Elle me pique au talon, m’étrille, me crispe le bras. Docteur, au secours, je deviens folle, je vous le dis, vos tarifs augmentent-ils cette année ? Je suis prête à vous offrir double ration, une heure de ma vie, non deux, pour que vous m’aidiez à faire place nette, vous m’entendez ? Les mots m’échappent dans une cavalcade échevelée et me font courir sur la feuille, sur l’écran, dans l’appartement, sur le balcon de trois mètres carrés croulant sous les plantes. La chute, depuis quelques semaines, je connais.

            Les ombres chinoises s’animent à nouveau. Elles se concertent avant d’approcher le balcon à pas feutrés. Elles esquissent un entrechat, me sourient d’un œil avant de se fondre dans l’obscurité. Agenouillée dans le fouillis apparent d’un appartement qui a vu défiler tant de personnes en quête d’un mieux-être, je leur tends en pensée une main pleine de tâches d’encre, d’une maturité qui fait parfois des pieds de nez, à chacun son charme et ses limites, n’est-ce pas ? S’impose soudain le désir de m’incliner un peu plus bas et de dire merci. A qui ? Ma plume rougit de pudeur ce soir et laisse le champ libre au poète qui me rejoint en tête à tête. René Char m’offre une feuille d’écolier pliée en quatre, un billet doux comme une fleur bleue ou le froissement d’une aile. Lentement, Je lis les mots suivants : « L’inaccompli bourdonne d’essentiel ».

Nous les fredonnons tous deux ensuite en écho. A l’infini. Une bonne partie de la nuit…

                                                                                   19/23 avril 2020

Anne-Sophie Boutry

 

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