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Concours d’écriture « Racontez-nous votre confinement » « Racontez-nous votre confinement »

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Aéroport de Dakar, début Mars 2020. Ah ouf, nous voilà enfin arrivés pour quelques semaines de repos, baignade, farniente… Chic ! Adieu la grisaille parisienne, bonjour le soleil ! Et adieu à cette morosité qui plombe l’ambiance depuis quelques temps ; cette histoire de virus chinois qui, paraît-il, serait plus dangereux qu’annoncé, plus contagieux, plus mortel … ce que les gens peuvent être alarmistes, quand même ! S’il y avait un vrai danger, depuis le temps qu’on est au courant de cette contamination en Chine, on aurait préparé le terrain, on aurait mis la population en garde, on aurait pris des mesures enfin, quoi… on ne va pas revivre un second Tchernobyl !

Et surtout on ne nous aurait pas laissés partir, évidemment ! Alors que là, nous sommes bien partis avec la bénédiction de notre agence de voyages et aussi avec la bénédiction du Quai d’Orsay qui nous confirme que nous pouvons voyager, qu’il n’y a aucune consigne particulière et aucun cas signalé au Sénégal. Soit, allons-y ! Ah, les enfants nous ont bien mis la pression mais il n’y a aucun danger, la preuve !!! D’ailleurs, à Roissy, aucun signe de quelconque danger ou risque de contamination, le personnel de l’aéroport de porte pas de masque, ne prend aucune précaution particulière, l’ambiance est animée et plutôt détendue, donc pas de panique !

C’est vrai qu’en arrivant à Dakar, changement de décor : tout le personnel de l’aéroport porte des gants et des masques et prise de température de tous les passagers à l’arrivée… je trouve ça plutôt fun, pour l’instant du moins…

Bref, après quelques jours de pur bonheur ensoleillé, l’ambiance se met d’un coup à changer au sein du club de vacances… les appels quotidiens de nos familles respectives, nous décrivant chaque jour la détérioration de la situation, commencent à semer le doute dans notre esprit… du coup, les conversations entre vacanciers ne portent que sur ce fichu virus. Certains, arrivés depuis plusieurs mois, ne sont même pas au courant de l’étendue de l’épidémie et tombent carrément des nues !

Et puis voilà qu’on apprend un premier cas au Sénégal et là, c’est aussi l’attitude de la population qui change du tout au tout vis-à-vis de nous … ça me rappelle tristement ce que certains Chinois de France ont subi à l’arrivée du virus en France… pas très agréable en fait… et très injuste.

Un appel de notre fils finit de saper les derniers restes de notre insouciante béatitude : le confinement est annoncé en France, des mesures très strictes de sortie sont mises en place, plus de voyages non plus, tout est figé. Tout d’abord, je crois à une -très- mauvaise blague… on ne peut pas en être arriver là si vite, alors que, quelques jours auparavant, tout allait bien, aucun signe de grave danger à venir ! Même notre Président était au théâtre, alors !

Mais l’attitude de mon fils au téléphone me fait redescendre très vite à la triste réalité. Je pense à tout en même temps : ma mère, très âgée, malade (Dieu merci, elle n’est pas seule), mes enfants, ma famille, mes amis, tout mon agenda stoppé net… et, du coup, plus qu’une envie : rentrer chez moi !

La nouvelle du confinement fait rapidement le tour des résidents et, comme moi, tous se demandent ce qui va se passer, comment nous allons rentrer, et quand…

Les questions se bousculent lors des réunions organisées par la Direction du club. Ils n’en savent pas beaucoup plus que nous, l’Ambassade de France au Sénégal ne répond pas, ils sont débordés d’appels, idem pour Air France. Voilà que je me prends à craindre que nous ne puissions pas rentrer, je frissonne malgré les 37°…

Finalement, pour nous, une chance incroyable : le vol de retour que nous avions réservé est … le dernier vol « officiel » d’Air France, le gouvernement sénégalais ayant décidé, au vu des premiers cas apparus, de fermer immédiatement l’aéroport (sans attendre plusieurs mois comme nous l’avons fait !).

Mais tous nos compatriotes n’ont pas cette chance ; certains ne devaient rentrer que fin Mai et ne peuvent pas changer leur billet, faute de places disponibles, d’autres ont pris des vols via l’Espagne ou le Maroc qui sont annulés et ils ne savent pas qui va les ramener ! Certains encore sont arrivés la veille de l’annonce du confinement et de la fermeture des frontières… et on leur annonce qu’ils vont devoir repartir … le lendemain. Ils sont furieux, ils ne comprennent pas qu’on ait pu les laisser partir de Paris !!! Donc, ambiance méga tendue, pour ne pas dire angoissée, atmosphère pesante… on essaie de se rassurer entre nous, comme on peut… Mention spéciale à l’équipe du club de vacances qui nous a encadrés et soutenus d’une façon extrêmement professionnelle avec beaucoup d’humanité… j’ai cru comprendre que ce n’était pas le cas partout !

Retour donc à Paris pour nous, comme prévu, avec, pour la première fois depuis que nous allons au Sénégal (20 ans) des formalités à l’aéroport effectuées à une vitesse fulgurante ! On sent que nous ne sommes plus trop les bienvenus et qu’ils sont pressés de nous voir partir ! Ce que je comprends…

J’ai appris par la suite que plusieurs vols de rapatriement avaient été programmés pour ramener tout ce petit monde au bercail, pas toujours dans de bonnes conditions : certains ont dû repayer un billet d’avion, au prix fort, d’autres ont dû laisser leurs valises sur place car trop de passagers…

Aéroport de Roissy, 20 Mars 2020. Le vol se déroule sans problème, mais avec une ambiance très particulière : les hôtesses, cette fois, portent gants et masques tout comme la plupart des passagers, on sent qu’il se passe quelque chose de pas très sympathique. Un monsieur très malade, dans l’avion, demande l’aide d’un médecin, ma voisine se lève et ne revient qu’une heure après, l’air sombre.

A l’arrivée, changement de décor par rapport au départ : presque plus personne dans l’aéroport, tout le monde est masqué, ganté… on dirait qu’on est parti il y a cent ans et qu’on revient en pleine guerre mondiale !!! Je ne me sens pas très bien, l’atmosphère est angoissante…

Nous montons dans le taxi… mon fils n’a pas pu venir nous chercher, ce n’est pas -plus- autorisé… Le chauffeur nous explique la situation et les nouvelles mesures de confinement, je le regarde comme s’il me parlait en javanais… Et puis, je n’en reviens pas, l’autoroute est déserte, je n’ai jamais vu ça…

J’ai une boule dans la gorge, je commence à entrevoir la réalité mais je n’arrive toujours pas à croire qu’on ait pu en arriver là… il va vraiment falloir qu’on m’explique pourquoi on a attendu que cette épidémie se déverse sur nous, sans rien faire, sans rien anticiper, sans réagir.

Nanterre, 20 Avril 2020. Voilà, ça fait maintenant un mois que nous sommes rentrés et confinés, comme
-presque- tout le monde. J’ai appris à remplir les dérogations de sortie, quoique je n’en comprenne pas encore tout à fait l’utilité… J’aurais préféré que l’on me remette, à la place, un petit stock de masques et de gants… Les journées s’écoulent, entre ménage, sport, tricot, jardin (Dieu merci, nous avons un jardin, ce qui est une immense chance), « apéros virtuels » (j’en peux plus !) avec la famille que je n’ai pas vue depuis notre retour.

Nos dîners familiaux animés du dimanche soir me manquent terriblement, mes activités me manquent terriblement. Toute vie sociale et familiale a disparu, du jour au lendemain, comme effacée par magie, et nous ne sommes responsables de rien ! J’ai appris le décès de trois personnes proches, en l’espace d’une semaine. C’est une tragédie.

Mon mari continue de travailler quelques jours par semaine. Il travaille dans une association, il faut continuer les distributions alimentaires. Mais je suis terrifiée à l’idée qu’il puisse tomber malade, même s’il est très bien équipé.

Mes voisins ont fait un barbecue avec plein d’amis le week-end dernier… j’ai commencé par les envier terriblement et puis je les ai trouvés tellement stupides, inconscients, criminels… Même si c’est dur de se couper du monde, je me sermonne et me dis que c’est pour mon bien, qu’il ne faut pas qu’on attrape cette saleté de virus qui a fait déjà tant de morts innocents mais la sentence me paraît tellement injuste. Ah, si nous avions réagi, si nous avions pris les mesures nécessaires bien plus tôt, et si et si… que de temps perdu.

Mais aujourd’hui, le soleil brille, le ciel est d’un magnifique bleu, les oiseaux chantent et… il n’y a plus d’avions dans le ciel, plus de voitures non plus… Je vais essayer d’oublier un peu cette épée de Damoclès que nous avons au-dessus de la tête, et commencer un bon bouquin. Jusqu’à 20 heures ce soir, où je n’oublierai certainement pas notre petite ovation quotidienne, tout petit geste mais très belle initiative citoyenne, ô combien symbolique, pour remercier tous ces soignants qui sont en première ligne, qui se battent jour après jour, et qui donnent tellement de leur personne pour un si maigre salaire. Je ne peux pas faire grand-chose pour les aider, si ce n’est participer aux cagnottes en ligne en signe de mon indéfectible soutien.

Alors, en fait, non, je n’ai absolument pas le droit de me plaindre quand je pense à eux, donc je dirai que, pour moi, oui, tout va bien…

C’est une étrange période, qui nous ramène aux valeurs essentielles de la vie et qui peut-être nous aidera à (re)construire un avenir meilleur, plus équilibré, moins orienté finances et actionnaires. Si l’on pouvait au moins en tirer quelque chose de bon, alors on n’aura pas vécu tout cela pour rien…

 

Sylvie Manta

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