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Concours d’écriture « Racontez-nous votre confinement » La bibliothèque

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Ça ne faisait pas une semaine que je vivais seul confiné dans mon appartement que je me voyais déjà désœuvré. Les collines d’habits que je devais enjamber pour atteindre ne serait-ce que mon réveil ne m’incitaient pas à sortir du lit, mais par la force des choses, je m’extirpais lamentablement de ma couche chaude et parvenais tant bien que mal à appuyer sur le bouton. Pourquoi avais-je besoin de me réveiller ? Je n’avais plus goût à rien, comme ça arrive parfois, sauf que je sentais que ce goût à rien avait un goût de vraiment rien. Un goût de vide, de poupée gonflable aplatie par l’abandon. Debout, je me dirigeai quand même vers la bibliothèque, sans trop savoir pourquoi, peut-être était-ce le seul meuble qui m’attirait, au fond du rien. Oui, lire était une idée. Quel ouvrage était susceptible de me distraire suffisamment pour raviver mon intérêt inexistant ? Les étagères offraient un large spectre de livres plus ou moins colorés. Je tendis la main vers « La Chartreuse de Parme » qui irradiait d’un beau vert kaki. « Ce n’est pas le moment. » J’avais songé au nombre de pages et à la lenteur du développement de l’intrigue. Choisir quelque chose de plus frais et spontané : « Les Ninjas ne meurent jamais seuls », un bon alliage entre la passion et le drame.

Va falloir trouver autre chose. J’eus une illumination et saisis d’un geste brusque une couverture orange. « Peu importe ce que c’est, j’en ferai mon affaire »

Les premiers mots lus n’étaient pas à la hauteur de mon dégoût. « En dix ans, j’ai éliminé des rues plus de dangereux criminels que le cancer… »  Je grognai, laissai tomber le livre et vagabonder mon doigt au hasard des titres. Les armoires vides… Fin d’un jeu… Parti pris… Ça donne déjà matière à réfléchir. Sans crier gare, ma pensée avait déjà pris un chemin que moi seul pouvait suivre. Mon regard s’était égaré et contemplait maintenant la tapisserie. Des formes biscornues. Un rat qui opère une truite au bord d’un précipice, un arbre au tronc minuscule et au feuillage infini. Combien de mots s’y cachent, peut-être plus que de lettres dans cette bibliothèque.

« Vous vous ressemblez tous ! m’agaçai-je. Ce n’est quand même pas à moi de décider ! Ne m’obligez pas, ma patience a des limites. Vous risquez gros en vous affichant ainsi, ternes et déjà nus. Faut-il que j’abandonne pour que vous me transmettiez votre intérêt ? Bougez-vous, que diable ! Sortez vos plus belles combines, vos tournures aguicheuses et vos fins abracadabrantes ! » Ma main tremblante s’était approchée du quatrième étage.  Dans un mouvement d’humeur, je choisis d’attraper une reliure qui dépassait. Puis, par souci de contradiction, je suivis mon autre main qui se dirigeait vers ce qui semblait être un manuscrit, plus discret mais surtout plus difficile à dénicher : tout fin, écrasé entre deux géants de papier. En écartant et poussant de chaque côté, j’espérais réduire l’espace qui maintenait le chétif dans son étau. En vain. Je me résolus à retirer un élément de la ligne pour faciliter la prise. Un bien feuillu, si possible. « Les œuvres complètes de Jean Pierre Brisset » bascula sur la tranche et chuta dans le vide. « Zut, c’était celui-là que je voulais », pensai-je. Et trop tard pour le rattraper au vol ! (En effet, trop de temps s’était écoulé entre ma lecture du titre – je ne lis pas très vite – et mon idée de rattraper le livre au vol. Ce qui avait pris du temps, c’était l’association mentale entre le titre et le contenu du livre, puis la comparaison entre le contenu et mes envies que je croyais inexistantes, et enfin le lien opéré entre mes envies et la décision de rattraper le livre au vol. Je passe sur le temps de la prise en compte du fait que le livre tombait, ce qui vous vous en doutez, occurrait avant l’idée de le rattraper.) L’avantage est que j’avais maintenant accès à ce minuscule tas de papier relié. Ce chétif avait une mine plutôt patibulaire, avec ses feuilles racornies et sa maigre quantité de pages. C’était un bon point. Et comme fait exprès pour susciter l’intérêt, il n’avait pas de titre. Je l’ouvris délicatement, avec la peur non-fondée-à-priori-mais-sait-on-jamais qu’il ne se désagrège sous mes doigts, et tombai sur ces mots :

« A ma naissance, j’étais heureuse de faire partie des phrases les moins lues au monde, tu es en train de tout gâcher. »

La suite était vraiment brillante, à tel point qu’elle m’éblouissait, je m’empressai de refermer. Je consultai machinalement ma montre, il était déjà 21h30. Je venais donc de passer dix bonnes heures debout devant ma bibliothèque. Que le temps passe vite ! songeai-je. De trois choses l’une : soit le temps passait effectivement à une vitesse démentielle, soit je se déplaçais à la vitesse digne d’un paresseux et chaque moment décrit avait une durée bien supérieure à la normale, soit je vous ai épargné une grande partie de mes tergiversations. La suite ne nous le dira pas. Je me mis à faire les cent pas devant le meuble en lui jetant quelques coups d’œil sauvages. Des grosses gouttes perlaient sur mon front, sans doute des larmes. Petit à petit, mes pas s’accélérèrent jusqu’à devenir des foulées. Je courais en rond devant ma bibliothèque, comme un poisson dans l’eau, mais dans l’eau d’un petit aquarium. Tandis que j’étais occupé à calculer le nombre d’allers-retours qui me seraient nécessaires pour couvrir la distance d’un marathon – plus de dix-mille-cinq-cents selon ma dernière estimation – je me sentis observé. Au changement de côté, je remarquai qu’un livre me faisait de l’œil, littéralement. Un gros œil était dessiné sur sa tranche et clignait. Tout en continuant ma course, je m’en emparai. Pour évacuer la tension qui m’oppressait, je me plongeai derechef dans la lecture :

« … j’étais … soit… devant… » et quantité d’autres mots enchevêtrés.

Soudain, je stoppai net ma course folle et m’écriai : « Oh non, pas ça ! » – paradoxalement, car au fond, j’étais tout heureux d’enfin peupler ma chambre de paroles. Dépité, je m’accoudai à un dossier de chaise qui me tendait la main, puis écrivis, à même le papier :

« Une petite histoire qui se veut originale mais qui ne m’a rien apporté sur la compréhension de la vie. Je n’ai jamais été un grand amateur de ce genre de nouvelle qui prend le lecteur en otage en le menant n’importe où et qui se termine par une lamentable tentative de mise en abîme. » En effet, le texte commençait et finissait par cette même phrase, pour le moins bancale : « Ça ne faisait pas une semaine que je vivais seul confiné dans mon appartement que je me voyais déjà désœuvré. »

 

Urial Langlois

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